Une fabrique à décarbonation
Depuis 20 ans, l’industrie forestière québécoise a été passablement perturbée par les nombreuses fermetures d’usines de pâtes et papiers et se retrouve aujourd’hui avec des surplus de résidus problématiques. Ce problème pourrait bientôt se transformer en solution d’avenir pour le verdissement de la planète grâce à l’utilisation des résidus de biomasse pour la fabrication de produits de décarbonation tels que le biocharbon, le biochar et le biocarbone.
Cela fait des années que l’on étudie différents moyens de valoriser la biomasse, qu’elle soit forestière ou agricole, dans des projets qui vont plus loin que sa simple utilisation en mode coénergie.
L’entreprise Airex Énergie, qui fabrique déjà des granules de biocharbon à Bécancour, prépare un important financement et planifie la construction de la plus grosse usine en Amérique du Nord de production de biochar, un amendement du sol qui augmente la rétention d’eau et réduit l’utilisation des fertilisants, mais qui est surtout un puissant capteur de carbone.
La construction prochaine d’une usine de production de biochar se fera dans un lieu que Michel Gagnon, le président d’Airex Énergie, préfère pour l’instant ne pas dévoiler, mais qui sera à proximité d’une source de production importante de biomasse. La nouvelle usine aura une capacité de production de 30 000 tonnes par année, ce qui en fera la plus importante en Amérique du Nord.
Le biochar est fabriqué à partir de la biomasse forestière – sciure et copeaux de bois –, qui est chauffée à plus de 500 degrés en l’absence d’oxygène, sous pyrolyse, pour devenir une poudre noire que l’on peut épandre sur les terres agricoles ou utiliser notamment dans la fabrication du béton.
Outre ses qualités d’enrichissement des sols, la grande vertu du biochar est qu’il capte pour des centaines, voire des milliers d’années le carbone qui était contenu dans les résidus forestiers et qui aurait été rejeté dans l’atmosphère lors de leur décomposition. Il est devenu un produit extrêmement demandé sur le marché des crédits carbone.
L’entreprise québécoise s’est associée à la multinationale française Suez, qui va investir dans la construction de cette usine au coût estimé de 80 millions et qui doit commencer ses activités en 2024. Suez et Airex veulent reproduire ce modèle sur une grande échelle.
« On commence au Québec, mais Suez veut construire rapidement une deuxième usine en France. On prévoit construire une nouvelle usine par année pour arriver à une production totale de 350 000 tonnes d’ici quinze ans. Dans plusieurs pays où on va aussi utiliser la biomasse agricole pour produire le biochar », anticipe Michel Gagnon.
Des crédits payants
Le biochar se vend entre 700 $ et 1000 $ la tonne, selon sa qualité et l’utilisation qu’on en fait, mais chaque tonne génère de 2,5 à 3 tonnes de CO2 séquestré dont le prix varie entre 100 $ et 160 $ la tonne, ce qui constitue une plus-value intéressante, très recherchée par les entreprises qui veulent réduire leur empreinte carbone.
« On s’est associé à un courtier en crédits carbone qui dessert plus de 2400 grandes entreprises qui ont besoin chaque année d’améliorer leur bilan environnemental », précise Michel Gagnon.
Airex Énergie vient tout juste de terminer un nouveau financement de 38 millions auprès de ses partenaires financiers Cycle Capital, Desjardins Innovatech, Investissement Québec et le Fonds de solidarité FTQ, qui est un nouvel investisseur.
L’entreprise québécoise est déjà en train de préparer un nouveau tour de financement de 130 millions pour soutenir son développement international auprès d’investisseurs américains.
La technologie développée par Airex lui permet également de fabriquer du biocarbone qui sert à la production de biocarburant pour l’aviation et pour remplacer la poudre de coke et l’anthracite dans la fabrication de boulettes de fer. Il s’agit d’un substitut qui intéresse grandement les grands producteurs comme ArcelorMittal ou Rio Tinto dans leur quête pour arriver à produire de l’acier vert.
Airex Énergie fabrique depuis 2016 dans son usine de Bécancour du biocharbon, composé de biomasse forestière torréfiée qui est transformée en combustible qu’on utilise dans les centrales thermiques en remplacement du charbon beaucoup plus polluant.
Le charbon émet 1000 tonnes de CO2 par gigawattheure produit alors que le biocharbon émet seulement 70 tonnes de CO2 par gigawattheure.
C’est considérable quand on sait que le charbon est responsable de 35 % de la production d’énergie dans le monde, m’explique le PDG d’Airex Énergie.
L’usine de Bécancour, qui est la seule usine de biocharbon en exploitation au Canada, a une capacité relativement modeste de 15 000 tonnes par an puisqu’elle était au départ une usine de démonstration. Le groupe Airex Énergie prévoit vendre sa technologie dans des régions où la biomasse est abondante et où on dépend toujours des énergies fossiles.
Depuis l’avènement de la révolution industrielle à la fin du XVIIIe siècle, les usines ont toujours été de grandes manufactures de pollution qui ont conduit au dérèglement climatique que l’on subit aujourd’hui. Il était grandement temps que l’on construise des fabriques à décarbonation pour qu’à tout le moins on recommence à respirer un peu mieux.
Source : Jean-Philippe Décarie, « Une fabrique à décarbonation », La Presse, 10 mars 2023.
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